L'AUTRE QUOTIDIEN

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Attentats : ne nous volez pas nos morts ! par Christian Perrot

Ne nous volez pas nos morts

Nous gêne déjà, après tant de douleur (car oui, forcément, nous connaissions personnellement de ces gens assez insouciants pour sortir s'amuser le vendredi soir à Paris, boire un verre, aller à un concert), la récupération politique qui est faite à vitesse lumière de leurs morts, et le sens qu'on entend lui prêter.

Manuel Valls n'a qu'un numéro dans son répertoire : martial, menton en avant, la voix tonnante, le Karcher qui démange, la guerre, la guerre, la guerre. Force virile et autorité. Dé-ter-mi-na-tion. Et beaucoup aiment ça, et en ont besoin, en ces temps où nos tripes crient vengeance, sus à l'ennemi, ils vont le payer, et toutes haines en nous bien méritée par la secte des assassins, car certes, nous ne les pleurerons pas, quand il leur arrivera le malheur qu'au fond d'eux-mêmes ils cherchent.

N'importe qui ayant subi la douleur de la perte d'un proche dans des conditions aussi injustes et ignobles comprend très bien ce processus psychologique par lequel nous passons tous (oui, tous, sans exception) en ce moment. Souvenons-nous aussi tout de même qu'il a fait du jour au lendemain de George W. Bush, ce semi-crétin, un héros dans son pays pour avoir déclaré la guerre totale aux ennemis de l'Amérique, - bravo, un leader (Manuel Valls adore d'ailleurs le son du mot leader) qui a des couilles ! a dit le peuple reconnaissant, c'est ce qu'il nous faut ! on va les écrabouiller ! -, et causé un désastre au Moyen-orient dont nous sommes des millions depuis dix ans, du monde entier, à subir les conséquences, tandis que les Américains se tiraient sur la pointe des pieds, laissant au passage leurs Humvees et chars d'assaut dans les mains de l'état islamique, qui n'a eu qu'à les ramasser après la calamiteuse prestation de la nouvelle armée irakienne. Et, en conséquence, méfions-nous de nos premières réactions à chaud. 

Nous serions en guerre (c'est maintenant officiel - on se demande ce que faisaient avant les Rafale en Syrie, mais peu importe, nous autres gens tête en l'air, sommes censés le savoir, et en tirer les conséquences). L'état d'urgence est souhaité pour trois mois (en principe, c'est douze jours, le temps d'une urgence). Renouvelables. On évoque même sans trembler la création d'une Garde Nationale (surtout pas !) qui sera comme partout composée de bons bourgeois chasseurs du dimanche et de fachos ravis de marcher au pas. Samedi à Pontivy, Bretagne, trois cent d'entre eux ont pris d'assaut une petite ville et tabassé les immigrés qu'ils rencontraient sur leur chemin. C'est de l'entraînement !

Alors disons-le tout haut (ce que nous ferions mieux sans doute de garder pour nous) : il nous est assez insupportable d'entendre dire que les morts de vendredi soir seraient morts pour la Patrie, pour la France. Prétextes à on ne sait quelle aventure menée en leur nom. Ils ne sont même pas morts pour la liberté. Ils sont morts parce qu'ils étaient la vie, la vie tout court, ce vendredi-là, à Paris, attablés pour un anniversaire à une terrasse de café, avec une amie au restaurant, se promenant ou promenant leur chien dans la rue, écoutant du rock. Et la vie est tout ce que détestent les mort-vivants de la secte des Assassins. Ils croient racheter la leur (généralement pourrie) en prenant celle des autres. Mais ne sachant qu'en faire (car qui vivrait longtemps dans un état, et un État, pareils ?), ils se hâtent de mourir aussi. Ils n'ont aucun goût pour la vie, contrairement aux nôtres qu'ils ont assassinés.

Nous souhaitons donc que par respect pour les vivants qu'ils étaient, et restent dans nos souvenirs, on cesse de les enrôler dans une guerre dont beaucoup ne voulaient pas.

Nuit & Jour