L'AUTRE QUOTIDIEN

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Israël - Palestine : la solution à un seul État est déjà là

C’est maintenant ou jamais, pour sortir du feu et du désespoir, que nous devons nous mettre à parler de la dernière issue possible : des droits égaux pour tous. Juifs et Arabes. Un seul État est déjà là, et depuis longtemps. Tout ce qu’il doit faire, c’est être juste et faire ce qui s'impose. Gideon Levy

® Larissa Sansour - "Nation Estate"

Voici la preuve irréfutable que la solution à un État ne devrait même pas être envisagée : le bain de sang, la haine et la crainte qui déferlent actuellement sur le pays. Les avocats de la solution à deux États, et tout particulièrement ceux qui ne recherchent pas de solution, ces Israéliens qui ont considéré la solution à un État comme une trahison et une hérésie, crient désormais victoire. « Eh bien, voilà à quoi il va ressembler, l’État binational ! », disent-ils. « Ce sera une guerre civile sanglante  et interminable. »

Les mêmes arguments dissuasifs utilisés des années durant contre la solution à deux États (les« frontières d’Auschwitz » [1]) sont désormais recyclés contre la solution à un État. Aujourd’hui, comme à l’époque, on juge tout selon les contours de l’actuelle réalité déprimante et il ne vient à l’esprit de personne qu’une autre réalité est possible.

Les nationalistes (israéliens) disent : « Un accord ne sera jamais possible, avec des gens aussi sanguinaires ! » Le centre-gauche dit : « Il n’y a pas moyen de vivre ensemble. » Le dénominateur commun est le racisme et le sentiment que cette haine va durer éternellement. À cela, nous devons ajouter les arguments sur le caractère sacré de l’État juif et de la fin du projet sioniste. Bref, un seul État signifierait la fin du monde.

Maintenant, venons-en aux faits. Un État existe déjà ici, et c’est le cas depuis 48 ans. La Ligne verte [2] s’est atténuée depuis longtemps ; les colonies sont en Israël et Israël, c’est aussi la terre des colons. Le sort des deux millions de Palestiniens qui vivent en Cisjordanie est décidé par le gouvernement à Jérusalem et par l’establishment de la défense à Tel-Aviv, pas à Ramallah. Le général de division Yoav Mordechai, coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, est celui qui les gouverne bien plus que le président palestinien Mahmoud Abbas. Ils font clairement partie de l’État binational et ils sont ses sujets  forcés depuis trois générations.

Cet État a trois régimes : la démocratie pour les Juifs, la discrimination pour les Arabes israéliens et l’apartheid pour les Palestiniens. Mais tous vivent dans un unique État inséparable.

L’État binational né en 1967 n’est pas démocratique. En fait, c’est l’un des pires États au monde, en raison de la dictature militaire qu’il maintient dans une partie de son territoire – l’un des régimes totalitaires les plus brutaux qui existent de nos jours. C’est aussi l’un des États les plus racistes, puisqu’il détermine les droits de ses résidents en se basant uniquement sur leur nationalité. C’est le seul État à se laver dans le sang, aujourd’hui, et il continuera à le faire aussi longtemps qu’il gardera ce profil malfaisant et antidémocratique.

Ceux qui disent que l’actuel bain de sang est la preuve que les Arabes et les Juifs ne peuvent vivre ensemble font reposer leur affirmation sur la situation d’injustice actuelle. Et ils ont raison. Si Israël continue à être un État inégalitaire, les Juifs et les Arabes ne seront jamais en mesure de vivre ensemble en paix. Mais le petit nombre – croissant – des personnes qui prônent la solution à un État ne pensent pas à cet État-ci – mais à un État tout à fait différent. Ils désirent le saper et établir un régime différent, plus juste et plus égalitaire. Quand celui-ci sera instauré, il est plus que vraisemblable que la haine et le désespoir finiront par être oubliés.

On peut ne pas vouloir y croire, naturellement, mais on ne doit pas mentir. On ne peut nier la possibilité de vivre ensemble avec des arguments s’appuyant sur les conditions existantes. Du sang est versé à cause de l’injustice, et c’est de là que cela provient. Comment peut-on exclure  à l’avance, la possibilité que des relations différentes s'instaurent dans un État démocratique et égalitaire ? Il existe en effet quelques précédents historiques d’une situation de haine et d’horreur qui s’est dissipée une fois que l’injustice a disparu.

Nous pourrions retourner à la solution à deux États, bien sûr. Pas une mauvaise idée, peut-être, mais on l’a loupée. Ceux qui voulaient un État juif auraient dû la concrétiser tant que la chose était encore possible. Ceux qui y ont mis le feu, délibérément ou en ne faisant rien, doivent désormais faire face directement et honnêtement à la nouvelle réalité : 600 000 colons ne seront pas évacués. Sans évacuation, il n’y aura pas deux États. Et sans deux États, seule reste la solution à un État.

C’est maintenant ou jamais, pour sortir du feu et du désespoir, que nous devons nous mettre à parler de la dernière issue possible : des droits égaux pour tous.  Juifs et Arabes. Un seul État est déjà là, et depuis longtemps. Tout ce qu’il doit faire, c’est être juste et faire ce qui s'impose. Qui est contre? Pourquoi ? Et, le plus important de tout, quelle est l’alternative ?

Gideon Levy  journaliste et écrivain israélien, membre de la direction du quotidien Haaretz

Traduit par  Jean-Marie Flémal


[1] « les frontières d’Auschwitz » : formule rhétorique fréquemment utilisée, notamment dans le passé par l’ancien Premier-ministre (Likoud) Menahem Begin (un ancien terroriste qui avait coordonné l’attaque contre l’Hôtel King David à Jérusalem en juillet 1946, qui fit 92 morts) pour désigner les « frontières de 1967 ». On peut lui donner plusieurs sens, mais le plus fréquemment retenu est que, selon les opposants à un retour aux « frontières de 1967 » (qui n’ont de frontières que le nom, puisqu’il s’agit des positions des belligérants de la guerre de 1948 figées dans un accord d’armistice de 1949) cela ne garantirait pas la sécurité d’Israël, étant entendu pour les sionistes que de toute éternité les Arabes n’auront qu’un seul objectif, à savoir « jeter les Juifs à la mer». Le retour aux « frontières de 1967 » serait donc forcément selon eux le prélude au « nouvel holocauste » qu’ils n’ont cessé d’invoquer à des fins de propagande, ce qui explique la référence au camp d’extermination nazi d’Auschwitz. 

[2] « Ligne verte » : ligne de démarcation entre belligérants selon l’accord d’armistice de 1949 entre Israël et les pays voisins (la Jordanie en ce qui concerne l’actuelle Cisjordanie). Ce n’est pas une frontière (Israël, en premier lieu, ne la reconnaît pas comme telle et son « mur de séparation » avec la Cisjordanie en déborde largement vers le territoire palestinien), mais curieusement la « communauté internationale » paraît la considérer comme une frontière internationalement reconnue, alors qu’elle englobe de vastes territoires conquis par la force des armes par Israël (ce qui donc serait juridiquement admissible ou du moins admis avant juin 1967 et non après juin 1967, sans qu’on puisse expliquer pourquoi)

Merci à Pour la Palestine
Source: http://linkis.com/www.haaretz.com/opin/tTZNa
Date de parution de l'article original: 17/10/2015
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=16284