Les alliances de circonstance contre les Kurdes, par Daniel Fleury

Entamer une nouvelle chronique sur l’actualité géopolitique en Irak et en Syrie, après le référendum sans lendemain au Kurdistan irakien, comme “observateur attentif”, aboutirait à une simple compilation de nouvelles publiées ici où là, si ces “nouvelles” n’avait pas une cohérence, lorsqu’on considère la question kurde comme une des clés de sortie. Clé démocratique, contraire à tous les intérêts nationaux et impérialistes sur la région, et pourtant plombée par les guerres.

Raqqa reprise à Daesh par les forces kurdes du YPG

Raqqa reprise à Daesh par les forces kurdes du YPG

Les gros titres vont un instant parler de Raqqa, questionner sur la “fin” de Daech, des plateaux télé parleront d’un “coup” peut être porté au “terrorisme”, jusqu’au prochain cinglé qui sortira un couteau. N’en attendez pas des interrogations sur ce qui se joue réellement dans les semaines qui viennent au Moyen-Orient. Voilà des années que ces questionnements sont traités unilatéralement sous l’angle instrumentalisé du “terrorisme islamique”, et de la phobie des réfugiés de guerre qui vont avec, par l’immense majorité des commentateurs européens.

Raqqa, ex fief de Daech, est libérée de la barbarie. Les Forces Démocratiques Syriennes contrôlent désormais la ville et une administration provisoire devrait en principe, dans un avenir prochain, être confiée à des habitants rescapés de la zone. Etant donné les divisions énormes créées par le traumatisme Daech au sein des populations, les destructions de la reconquête, la tâche va être longue.

La dite “coalition” peut être satisfaite, avec un engagement à minima au sol, restreint à des forces spéciales ou des encadrants guidant des frappes aériennes, et une aide logistique et en armement, elle va probablement s’arroger une victoire militaire contre l’Etat islamique, après avoir laissé celle de Mossoul en Irak être fêtée par Bagdad.
Mossoul fut un carnage, difficile à dissimuler, on le sait.
Dans le cas de Raqqa, les pertes humaines dans les rangs des combattants depuis le début de l’offensive il y a un an déjà, sont lourdes, et beaucoup comptent leurs amiEs tombéEs.

On pourrait donc espérer, alors que pourtant Daech tient encore des territoires morcelés et cherche “son refuge du désert”, une “embellie”, si tant est qu’on puisse parler ainsi en temps de guerre. Les forces démocratiques et en leur sein les Kurdes, pourraient enfin “fêter” cette victoire.

Mais ces libérations de Mossoul et Raqqa n’annoncent que le début des alliances de circonstances, entre ceux qui veulent leur future part du gâteau au Moyen-Orient. La future tablée possible de “Genève” (ou d’ailleurs) comportera des fauteuils, des chaises, des strapontins, et certains resteront debout.

Et ces alliances, alors que vendre la peau de Daech est pure illusion aujourd’hui, puisque les raisons de son existence sont directement liées aux crises des Etats-nation qui s’approfondissent, se profilent derrière des “escarmouches” militaires, des “gesticulations” ou de véritables préparations d’offensives.

Un axe d’alliances entre L’Iran, qui manipule le gouvernement de Bagdad, et arme des milices chiites présentes en Irak (Hashd al-Chaabi), et la Turquie, qui a renoué récemment avec Téhéran lors du référendum d’indépendance kurde, trouve accord tacite auprès de la Russie qui laisse faire. Le régime syrien de Bachar ne peut qu’être en embuscade. Ainsi se profile une géo-politique qui trouve prétexte dans le résultat du référendum d’indépendance, dont on ne constate aucun effet concret pourtant. Barzani, son initiateur, a, dès le lendemain des résultats, expliqué que le processus serait long et nécessiterait des négociations.

Et le gouvernement turc a annoncé alors, que les préparatifs pour intervenir du côté d’Afrîn, un des cantons syriens de la Fédération Nord Syrie, et donc contre les FDS et les YPG/YPJ, étaient très avancés et attendaient un feu vert ou des circonstances favorables. Dans le même temps, par le truchement de l’accord sur les “zones de désescalades” en Syrie, ce même gouvernement turc renforçait ses positions dans les secteurs envahis par ses chars, après l’offensive déjà ancienne via Jerablus, et ce, avec le silence de la Russie. Des attaques de villages, des bombardements sont désormais courants.
Il n’est pas rare, depuis la fin du mois d’août, que l’armée turque effectue des tirs d’intimidation, et d’autres, plus meurtriers, contre le centre d’Efrîn.
Si l’on considère également la manière dont le gouvernement russe a remis en selle le régime de Bachar et a redonné place à son armée via Alep et les communications vers le Nord, en attente du “règlement” du point de fixation d’Idlib, tout annonce davantage que des pressions à l’encontre de la Fédération Nord Syrie (dont le Rojava ).

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Le récent déploiement de l’armée turque, où elle a été accueillie en sauveur, dans cette province dite “rebelle” d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, n’est pourtant pas du goût de Bachar, qui a “exigé le retrait immédiat de ces forces“. Bachar a, par exemple, récemment envoyé ses avions contre un marché à Idlib, faisant 11 morts civils. Nous savons pourtant que ceux qui sont visés par ces déploiements turcs ne sont pas les forces du régime syrien, et qu’il ne s’agit là que d’établir des bases arrières et des alliances contre les Forces Démocratiques, les mêmes qui pourtant dans la région de Deir Ezzor mènent l’opération “Tempête de Cizire “, lancée le 9 septembre, pour libérer la province des mains de Daech là aussi. Ouvrir un front militaire avec force menaces, permet à la fois au gouvernement turc d’obtenir sa chaise autour de la future table, et de provoquer une auto-défense nécessaire des populations et des zones, fixant par là même les forces FDS, qui auraient pu enfin se dégager après Raqqa.

Une géopolitique et un jeu de stratégie militaire qui, dans l’esprit d’Erdogan permettrait d’affaiblir durablement la cause kurde et de détruire le confédéralisme naissant au Nord Syrie, effet d’aubaine rêvé depuis des années, d’autant qu’il se joue en total “accord” avec ce qui se déroule en Irak.

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La ville de Kirkouk et la région du Sinjar ont en effet été laissées aux mains des milices Hashd al-Chaabi, presque sans combat, par les Peshmergas fidèles à Barzani, suite à une offensive annoncée du gouvernement irakien central. Tout indiquerait que Barzani cherche un accord avec ce gouvernement de Bagdad, pour revenir aux frontières de 2003. L’une des plus grandes villes d’Irak, dont les environs regorgent de pétrole, reviendrait dans le giron irakien, contre un accord dont on ne connaît pas complètement les tenants et aboutissants.

Kirkouk reprise aux kurdes par les forces du gouvernement irakien

Kirkouk reprise aux kurdes par les forces du gouvernement irakien

Ainsi, des populations, plutôt opposantes à Barzani, se retrouvent sans défense.
Les Yezidies, qui en ont déjà fait l’amère et l’atroce expérience dans un passé proche avec Daech, et d’autres populations réfugiées, dont aussi le camp de Makhmur, tentent une résistance avec les Forces de protection du peuple (HPG) et les forces des Unités de résistance de Sinjar (YBŞ).

Cette résistance face aux milices chiites armées par l’Iran et supplétives du régime irakien sera difficile en l’état, alors qu’une grande partie des population fuit vers le Kurdistan autonome, désormais replié sur ses anciens territoires.
Ainsi, ce sont les forces non nationalistes kurdes et leurs alliés qui sont laissées face au régime qui avait cherché partout et trouvé autour de lui des alliances “contre le référendum” il y a moins d’un mois.

Ces alliances sont désormais en place pour entreprendre de “liquider” l’opposition démocratique kurde, et bien sûr, le mouvement autour du PKK, si celui-ci entrait en résistance, en lieu et place du régime Barzani qui se défile.

Dans ce grand jeu de billard à trois bandes, il devient compliqué d’identifier les coups, et leurs auteurs, leurs inspirateurs, alors qu’ils étaient si prévisibles, lorsque Barzani avait annoncé le référendum.

L’unité kurde, plus que jamais réclamée par le PKK, les mouvements et partis qui l’entourent, semble pourtant plus que jamais s’éloigner, alors que les menaces de guerre ouverte refont surface.

Tous les règlements de comptes deviennent possibles, avec la supervision des puissances régionales. Le conflit peut devenir ouvert. Souhaitons qu’il ne soit que jeu de pressions, menaces, combats locaux, diplomatie des armes. La bataille pour les chaises qui manquent autour de la table des négociations de l’avis de l’immense majorité, se fera, n’en doutons pas, en alliance contre le confédéralisme kurde, et ses propositions politiques pour succéder à la crise des Etats-nation au Moyen-Orient.

Le grand Satan américain, dans cette partie là, surveille le prix du baril de brut.

Ajout du 17 octobre

Cette nuit, à Kirkouk, les milices chiites ont fait un mouvement de retrait des zones récemment occupées. La nouvelle été accueillie par des célébrations jusqu’à Erbil. A Kirkouk même, des jeunes sont descendus dans la rue. Des informations non vérifiées font état de mouvements de retour de Peshmergas. Barzani a repoussé le processus électoral qui était prévu et la population conteste de plus en plus son régime et sa légitimité. Le paysage politique de la région autonome est donc en train d’imploser.

Daniel Fleury, Kedistan

Cette chronique vient d'être publiée par nos amis du site d'information sur la Turquie, le Kurdistan et la région, Kedistan, dont Daniel Fleury est un des animateurs. Nous le.s remercions de nous laisser partager leurs analyses et informations dans L'Autre Quotidien.