Grèce : le peuple n'est pas un ennemi

Ne nous demandez pas ce qui s'est passé dans la tête d'Alexis Tsipras quand il a soudain accepté tout ce qu'il avait toujours refusé, et ceci quelques jours après un référendum qui avait clairement établi qu'il avait le soutien du peuple grec pour refuser les conditions de la troïka des créanciers : nous n'avons toujours pas compris. Reste qu'il est maintenant au pouvoir pour faire avaler aux Grecs l'éternelle potion amère à laquelle ils semblent maintenant condamnés pour toujours. Est-ce que les choses se sont améliorées en Grèce depuis sa reddition sans condition devant le "plan de sauvetage européen" ? En rien. Le peuple est toujours perdant. Furieux. Et désorienté d'avoir été trahi par ceux en qui il avait mis sa confiance. Un article de Tasos Mavropoulos fait le point de la situation.

Au bout des six premiers mois, le gouvernement a changé de direction à 180 degrés : il s’est délesté point par point des « pesanteurs de la gauche », en accord avec les directives des institutions**, l’affrontement, la rupture et le changement se changèrent en combat entre l’ancien et le nouveau, l’enjeu pour la gauche devint de savoir qui serait premier ministre, les créanciers-usuriers se transformèrent en institutions et en partenaires -que nous rencontrons dans des hôtels lorsqu’ils nous en donnent la permission- et les mémorandums devinrent l’instrument de la gauche pour sortir de la crise.

Dans une telle situation, les gens ont commencé à sortir de leur léthargie et de leur vertige. Le gouvernement, en toute innocence, se demande pourquoi les gens se soulèvent, et il fournit la réponse : ils sont manipulés. Messieurs du gouvernement, et camarades d’autrefois qui êtes restés à SYRIZA, reprenez vos esprits.

Les gens réagissent non pas parce que le gouvernement n’a rien fait de ce à quoi il s’était engagé, mais parce qu’il fait exactement le contraire.

parce qu’il continue sur la même voie des mémorandums, que les précédents gouvernements ont suivie et pour laquelle ils ont été condamnés,

parce qu’il a choisi de satisfaire les exigences des créanciers au détriment du peuple,

parce qu’en une loi, il a amené le 3ème mémorandum au lieu de déchirer les deux précédents comme il le disait,

parce qu’il continue à aliéner la souveraineté de notre pays, apportant en dot ses infrastructures stratégiques, ports, aéroports, l’ADMIE (réseau de distribution d’électricité NdT), et d’autres choses encore,

parce qu’au lieu de supprimer le TAIPED (Caisse créée lors des premier mémorandum pour brader le secteur public. NdT), il a créé une nouvelle caisse, dans laquelle entre la richesse publique et privée du secteur public, pour être vendue.

parce qu’il a conclu un accord pour la cession totale des banques au privé en faisant payer à nouveau l’addition au peuple,

parce qu’il a conclu un accord pour sauver les banques et pas les caisses d’assurances sociales,

parce qu’il a ouvert la voie aux banquiers pour saisir les maisons,

parce qu’il veut ratiboiser l’assurance sociale publique, en entérinant le pillage continuel des cotisations des travailleurs, et aussi les lois anti assurances sociales qu’il devait supprimer,

parce qu’avec les mêmes arguments que ceux de ses prédécesseurs pour les deux mémorandums précédents il justifie maintenant le troisième,

parce qu’il reporte sur le peuple le chantage des créanciers, comme ceux d’avant,

parce que les gens voient comme dans un film d’horreur se rejouer le même scénario que celui des six dernières années,

parce qu’ils voient qu’on ajoute des charges supplémentaires sur les épaules de ceux qui les ont supportées jusqu’à aujourd’hui, au profit des mêmes qui en ont profité jusqu’à aujourd’hui,

parce que ce qu’on leur demande d’endurer, n’apporte que des malheurs et n’a aucune limitation dans le temps,

parce que les mémorandums sont un pacte de vassalité, et que, comme nous l’avons tous dit -vous et nous-, aucune autre politique ne peut être mise en œuvre dans le cadre des mémorandums, a fortiori une politique de gauche,

et pire encore,

parce qu’il leur dit qu’ils lui ont donné par leur vote le pouvoir de se retourner contre eux.

Ce n’est pas une politique de gauche. Ne vous réclamez pas de la gauche, parce vous lui faites uniquement du tort.

Messieurs du gouvernement, le programme de SYRIZA derrière lequel s’est rangé le peuple, le peuple l’a soutenu ; il a fait ce que nous tous, vous et nous, avons dit ; il a montré de la patience, il a fait la queue devant les distributeurs et au lieu de se mettre en colère ou de maudire le gouvernement, comme beaucoup s’y attendaient, il s’est libéré, s’est armé de courage, s’est radicalisé, jusqu’au point culminant : le fier et retentissant NON du 5 juillet.

Mais vous avez abusé de sa confiance et vous avez falsifié le mandat du peuple. Vous en avez donné une version conforme aux intérêts des créanciers et de ses oppresseurs, et vous l’avez utilisée comme un moyen d’échapper aux engagements en faveur du peuple. Vous en avez fait un moyen de vous débarrasser des impératifs de la gauche, et de satisfaire ainsi le directoire de Bruxelles. Vous l’avez dévié pour avaliser la voie prétendument unique des mémorandums que vous aviez décidé de suivre, comme la démonstration en a été faite. Vous avez exploité la psychologie de la défaite, pour lui voler son vote. Vous l’avez placé dans la logique : « Puisque même ceux qui ont résisté n’ont pu rien faire, rien n’est possible ». Vous lui avez demandé une deuxième chance, et il vous l’a donnée.

Pourtant, ses attentes ont été à nouveau trompées, et à nouveau sa patience est à bout. Messieurs du gouvernement, et vous tous qui restez encore à SYRIZA, ne voyez pas d’ennemis derrière le peuple qui proteste et tient tête à vos choix. C’est le même peuple qui a manifesté contre le premier et le deuxième mémorandum de 2010 à 2015, et qui manifeste maintenant contre le troisième mémorandum que met en œuvre le gouvernement SYRIZA-ANEL, avec l’assentiment de la Nouvelle Démocratie, du PASOK, de la Rivière et de Levendis. Il manifeste avec les mêmes revendications que celles qu’il mettait alors en avant. Et c’est pour cette raison que la Nouvelle Démocratie et le PASOK, qui étaient en enfer et que vous avez ressuscités en leur donnant un rôle, ne profitent pas de votre effondrement. Et n’oubliez pas que la raison essentielle de la montée des néonazis se trouvait dans les mémorandums et les politiques néolibérales, qui ont conduit à la pauvreté et à l’exclusion. Leur progression a été interrompue parce que SYRIZA a donné de l’espoir : ce n’étaient pas « tous les mêmes », quelque chose allait changer. Mais avec votre position, vous faites tout pour accréditer le contraire. Ne vous hâtez pas d’adopter les logiques dangereuses du passé, en voyant en bloc derrière les manifestants des mécanismes de déstabilisation et des fascistes. N’oubliez pas que l’argumentation des ND-PASOK-DIMAR-LAOS selon laquelle derrière tout cela il y avait SYRIZA, a renforcé SYRIZA. Ne faites pas la même erreur, en vous trompant de direction. Il est normal que le loup se réjouisse du sauve-qui-peut et essaie de manger les morceaux que vous lui aurez lâchés. Il est normal qu’ils souhaitent la ruine et la chute du gouvernement, parce qu’ils ont bon espoir que la gauche au nom de laquelle vous agissez subira en même temps un effondrement complet… Et vous faites tout votre possible pour y parvenir. 

Vous recherchez le consensus mémorandaire à l’assemblée et vous dressez le peuple contre vous. Au lieu de le défendre, vous l’accusez. Vous oubliez que les gouvernements mémorandaires n’ont pas une grande durée de vie et que le personnel qui les sert est jetable. Mieux vaut tomber pour être resté fidèle à ses engagements plutôt de se faire jeter comme un citron pressé après leur avoir fait au préalable le sale boulot, au nom de la gauche. Et un vrai gouvernement de gauche, les grands intérêts auraient du mal à l’abattre, parce qu’il aurait le soutien du peuple.

Les gens ont perdu patience. Les espoirs ont été trompés. Vous avez aidé le peuple à comprendre de la pire des manières que le maintien dans la zone euro sans mémorandums est impossible, que dans le cadre des mémorandums, il n’y a pas d’autres possibilités ni d’autres choix que la pauvreté. La nouvelle dynamique de front qui se développe trouve son chemin, débarrassée de ses peurs et de ses illusions, décidée à combattre et renverser la voie unique de l’austérité néolibérale, en brisant les chaînes de la zone euro.

Tasos MAVROPOULOS, ex-membre du comité central de Syriza