Droit du travail : la grande braderie de la fin du quinquennat Hollande

Durée maximale de travail, forfaits jour, accords compétitivité-emploi : le projet de loi El Khomri passe la main aux entreprises. A elles de s'arranger pour obtenir des salariés ce qu'elles veulent. L'état se retire. La loi commune et applicable à tous s'efface derrière les circonstances. C'est ce que nous appelons la grande braderie de fin de quinquennat.

Durée maximale de travail, forfaits jour, accords compétitivité-emploi : le projet de loi El Khomri sur la négociation collective, le travail et l’emploi passe la main aux entreprises.

 

Le projet de loi El Khomri va permettre demain aux entreprises de négocier à la carte le temps de travail. Car, s’il ne touche pas à la durée légale, il donnera la main aux employeurs qui pourront avoir recours facilement aux multiples exceptions qui entourent la règle des 35 heures en établissant des accords.

Durée maximale de travail : jusqu’à 60 heures par semaine en cas d’accord

Le projet de loi stipule que la durée quotidienne de travail pourra être portée à 12 heures par accord d’entreprise. Cette possibilité existe déjà dans le Code du travail. Mais, pour la mettre en place, il faut aujourd’hui des « dérogations accordées dans des conditions fixées par décret », autrement dit dans des cas très rares.

Autre changement, la durée moyenne de 44 heures maximum de travail par semaine peut être portée à 46 heures désormais par accord d’entreprise. Avant il fallait un accord de branche, mais aussi un décret, ce qui là encore était très rare. Nouvelle subtilité : cette durée de 44 heures maximum ne court plus sur une période de douze semaines consécutives, mais seize semaines.

Enfin, la durée hebdomadaire peut être portée, en cas de circonstances exceptionnelles, à 60 heures, toujours par accord. Là encore, cette durée est déjà prévue. Mais aujourd’hui, il faut une autorisation de la Direction du travail, ce qui n’arrive quasiment jamais. D’autre part, le texte actuel stipule que les 60 heures concernent « certaines entreprises ». Une notion qui disparaît.

Heures supplémentaires

Toute heure travaillée au-delà des 35 heures hebdomadaires continuera à être mieux payée. La majoration reste de 25% pour les huit premières heures supplémentaires, et de 50% pour les suivantes, mais une entreprise pourra négocier un accord interne qui lui permet de limiter ce bonus à 10%.

Les entreprises vont donc avoir une plus grande marge de manœuvre. Aujourd’hui, une entreprise doit prendre en compte les accords de branche avant de négocier le bonus versé pour les heures supplémentaires : si l’accord de branche prévoit une majoration de 30%, l’entreprise ne peut pas descendre en dessous de ce taux. Avec la loi El Khomri, l’accord d’entreprise primera sur l’accord de branche : une entreprise pourra négocier une majoration de 10%, le minimum légal, même si l’accord de branche prévoit un bonus bien plus élevé. Une possibilité qui risque de devenir la norme puisque le rapport de force est moins favorable aux salariés au niveau de l’entreprise qu’au niveau de la branche, où les syndicats sont moins forts. Résultat, si les employeurs regretteront toujours qu’une heure supplémentaire coûte plus cher, ils pourront néanmoins réduire la facture.

Apprentis : l’inspection du travail hors jeu

Selon le projet de loi, les apprentis de moins de 18 ans pourront travailler jusqu’à 10 heures par jour (au lieu de 8 heures) et 40 heures (contre 35) par semaine, si des « raisons objectives le justifient ». Aujourd’hui, c’est déjà possible, mais l’entreprise doit demander l’autorisation à l’inspection du travail « après avis conforme du médecin du travail ». Alors qu’avec ce texte l’employeur devra simplement en informer les deux.

Les astreintes sur les temps de repos

Le projet de loi prévoit que les temps d’astreinte s’imputent sur les temps de repos lorsqu’ils ne sont pas travaillés effectivement, et ne seraient donc plus indemnisés pour le salarié. Le Comité européen des droits sociaux (qui s’appuie sur la Charte sociale européenne) a pourtant condamné le fait qu’ils s’imputent sur le temps de repos. Selon cette charte, toutes les heures de présence (travail ou « inactivité ») sont du travail effectif à prendre en compte pour les durées maximales et les repos, seule une différence de rémunération étant admise.

Coup de canif sur le forfait jour

A l’heure actuelle, un cadre sur deux travaille sans compter ses heures, malgré les 35 heures, mais dans la limite de 235 jours par an. C’est le système du forfait jour appliqué, aux salariés autonomes. Il prévoit 11 heures de repos consécutives. C’est fini. Ces 11 heures de repos pourront être fractionnées. Autre brèche ouverte : dans les entreprises de moins de 50 salariés, plus besoin d’accord collectif. Il suffira que l’employeur se mette d’accord avec son salarié pour le passer au forfait jour.

Référendum d'entreprise

En cas de blocage pour adopter un accord d’entreprise, les syndicats représentant au moins 30% des salariés pourront demander l’organisation d’un référendum. Le vote des salariés, à la majorité des suffrages exprimés, primera sur la décision des syndicats.

Actuellement, pour qu'un accord soit valide, il doit recueillir soit la signature de syndicats ayant obtenu au moins 50% des voix aux élections professionnelles, soit la signature de syndicats représentant 30% des salariés mais à condition que les syndicats majoritaires ne s'y opposent pas. Un syndicat ayant obtenu plus de 50% des voix et donc bloquer un texte, même si la majorité des salariés y est favorable. Avec ce référendum, une entreprise pourra donc contourner le ou les syndicats majoritaire(s), à condition de s’appuyer sur un syndicat pesant au moins 30% des suffrages. C’est d’ailleurs la stratégie qu’avait choisie la direction de l’usine Smart d’Hambach, en Moselle, pour revenir sur les 35 heures malgré l’opposition de la CGT et de la CFDT. Le vote qui y avait été organisé, qui n’a aujourd’hui aucune valeur, s’imposerait alors à tous.

Source : Le Parisien, 17/02/2016